La compagnie troyenne la Pierre noire et ses complices cheminots proposeront, pendant le Festival d'Avignon,
un voyage poétique et philosophique vers un séjour de rêve à Belles Îles-sur-Fer.
DE NOTRE CORRESPONDANT RÉGIONAL.
Dans le grand souk artistique qu'est le Festival d'Avignon voilà un spectacle dont on est au moins
sûr et certain qu'il commencera implacablement à l'heure, à moins que la SNCF ne déroge à
la plus fameuse de ses traditions, celle de l'exactitude. Le public ne sera pas en l'occurrence appelé
par les trompettes de la Cour d'honneur mais par le sifflet du chef de gare. Car les spectateurs vont embarquer
dans un train ou plus précisément une rame de TER longue de moins de 23,50 m (ils comprendront
pourquoi par la suite), "la plus moderne qui soit en service actuellement ", comme ne manque pas de
le souligner, avec une pointe de fierté, Norbert Zecchini le chef de l'établissement Avignon-Miramas.
Un train qui part à l'heure ça ne vaut en principe pas une ligne dans un canard, encore moins dans
ses pages culturelles, sauf que cet autorail n° 18259 se transforme en théâtre pour des voyageurs
armés pour seuls bagages utiles que leur imagination et leur sensibilité.
Ils auront auparavant traversé nuitamment la façade de la gare rendue immatérielle
par son illumination. Puis, juste avant d'embarquer dans l'autorail, ils auront échangé,
dans la salle d'attente, leur jeton de voyage en laiton contre une mystérieuse valise. Une boite de
Pandore ? En tout cas, c'est en compagnie d'une autre figure de la mythologie grecque, qu'à quarante
et une (I), s'ébranlera la rame aux rideaux rouges tirés.
Nom de Zeus, c'est bien ce brave Hermès, dieu des passages et des échanges, qui servira de guide
vers une destination que, jusqu'au premier jour du Festival d'Avignon, l'on tient secrète ! Où ce train
se rendra-t-il ? Sachez seulement que Maryvonne Vénard, metteur en scène qui préfère se
définir comme "émettrice " de Transfert Express, a pris plaisir autrefois à travailler
dans des lieux d'enfermement où malgré tout la vie foisonne, comme un hôpital psychiatrique ou
une maison d'arrêt.
Le site industriel au sein duquel se déplacera en musique (créée par Lucien Bertolina) le
théâtre roulant a été rebaptisé "Belles-Îles-sur-Fer". Ça sentira
donc à la fois la bouée et la clé à molette, les embruns et la graisse, les vacances
en Bretagne et le boulot à Villeneuve-Saint-Georges. Comme l'explique Antonio Iglésias, administrateur
de la compagnie de la Pierre noire dont les comédiens vont aller bon train dans ce huis clos mouvant, "nous
irons d'îlot en îlot par le chemin des hasards ou la voie des songes, dans un archipel où
le rêve et la réalité se confondent.. En ce lieu où, par la magie du verbe, le réseau
ferré-bien réel-qui le dessert peut s'imaginer toile virtuelle et s'entrelacer avec
elle, "Hermès, le dieu psychopompe accompagnateur de tout voyageur errant nous fera toucher le
cœur des sourds grondements de notre civilisation", ajoute Maryvonne Vénard. Si cette
création est le fruit, en grande partie, du talent de cette ancienne élève de Vitez, et
n'a pu prendre corps que grâce au hasard d'une rencontre entre Antonio Iglésias et Lucien Marest,
chargé de la culture au ministère des Transports, rien, sur le terrain avignonnais, n'aurait pu se
faire sans les cheminots, du manœuvre au chef d'établissement.
La symbiose entre un monde artistique et un univers industriel, la convergence des bonnes volontés, à
commencer par celle du vice-président communiste de la région, Jean-Marc Coppola, lui-même ancien
cheminot, qui s'est débrouillé pour trouver l'autorail adéquat en Rhône-Alpes, c'est d'ailleurs
ce que Maryvonne Vénard retiendra de cette aventure hors du commun commencée voilà plus de six mois et
ponctuée d'incessants allers et retours entre Champagne et Provence. La compagnie de la Pierre Noire se dit
"avide d'espaces, de lieux à investir, pour porter haut et fort sa foi, sa flamme, les soubresauts de
son âme". Plus prosaïquement, Norbert Zecchini, avec José Aznar, le directeur départemental
de la SNCF, ont plaidé pour "une ouverture de l'entreprise vers l'extérieur qui permet aussi,
en interne, de créer un meilleur climat entre cheminots au moment où notre entreprise connaît une
mutation importante".
La SNCF est loin d'être un désert culturel. Mais le temps des spectacles livrés clés en
main au comité d'entreprise, s'il n'est pas révolu, paraît quelque peu fané. Que ce soit
au travail, dans l'action syndicale ou dans les activités culturelles, les cheminots, précurseurs en
la matière avec le mouvement de 1995, veulent de plus en plus être acteurs. En ce sens la rencontre avec
les "théâtreux" de la Pierre noire ne pouvait donc être que fructueuse. On en jugera
bientôt : attention au départ, fermez les portières, première le 6 juillet !
L'Humanité, 25 juin 2001. Article de Philippe Jérôme
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